Avec son texte L’étude de L’école de Barbizon: une nécessaire remise en question de l’histoire de l’art, Vincent Pomarède aspire à positionner l’école de Barbizon comme une étape essentielle dans l’histoire de la représentation de la nature en France se situant aux confluents des courants artistiques du XIXe siècle((POMAREDE, Vincent, « L’étude de L’école de Barbizon: une nécessaire remise en question de l’histoire de l’art », L’École de Barbizon. Peindre en plein air avant l’impressionnisme, 2002, Lyon, Musée des beaux-arts / RMN, p.23.)). En effet, l’auteur présente les convictions esthétiques commune des membres de cette école comme un moment de réconciliation entre le néoclassicisme, le romantisme et le réalisme. Cette quête de synthèse, tel que Pomarède la nomme, se compose de la référence à la tradition, de la nature et la crédibilité de la description ((POMAREDE, Vincent, « L’étude de L’école de Barbizon: une nécessaire remise en question de l’histoire de l’art », L’École de Barbizon. Peindre en plein air avant l’impressionnisme, 2002, Lyon, Musée des beaux-arts / RMN, p.23.)).
Le tableau Hagar in the Wilderness (1835) (voir fig. 1) est une œuvre fondamentale à la compréhension de l’influence de l’école de Barbizon sur le travail de Corot – figure importante de ce mouvement – et plus particulièrement à la compréhension de la notion de quête de synthèse soulevée dans le texte de Pomarède. Le tableau de Corot illustre particulièrement bien cette notion et, de ce fait, ce qui rend son travail si original.

Jean-Baptiste Camille Corot (1796-1875) est aujourd’hui reconnu principalement comme peintre français du plein air et comme ayant préfiguré l’impressionnisme. Cependant, cela ne rend pas compte de l’originalité véritable du travail de Corot. Effectivement, celui-ci aimait peindre en nature durant les chaudes saisons de l’année afin d’effectuer plusieurs études de paysage((Sotheby’s, « Jean-Baptiste-Camille Corot », dans Sotheby’s. En ligne. <https://www.sothebys.com/en/artists/jean-baptiste-camille-corot>. Consulté le 30 mai 2020)). Il passa notamment beaucoup de temps dans la forêt de Fontainebleau au courant de sa carrière. Cependant, ses études servaient principalement de sources d’inspirations ou de modèles pour ses compositions plus classiques réalisées en atelier durant les froides saisons de l’année – une pratique qu’il développa durant sa formation classique sous la tutelle de Michallon (1796-1822) et de l’atelier de Jean-Victor Bertin (1767-1842)((GOETZ, Adrien, « COROT JEAN-BAPTISTE CAMILLE – (1796-1875)», dans Encyclopædia Universalis. En ligne. <http://www.universalis-edu.com.proxy.bibliotheques.uqam.ca/encyclopedie/camille-corot/>. Consulté le 30 mai 2020.)). C’est donc d’abord grâce à ses œuvres plus classiques exposées au Salon de Paris qu’il connut le succès((GOETZ, Adrien, « COROT JEAN-BAPTISTE CAMILLE – (1796-1875)», dans Encyclopædia Universalis. En ligne. <http://www.universalis-edu.com.proxy.bibliotheques.uqam.ca/encyclopedie/camille-corot/>. Consulté le 30 mai 2020.)). En portant un regard sur ses compositions, il est d’abord possible de constater que Corot resta, en quelque sorte, un classique jusqu’à la fin de sa carrière((GOETZ, Adrien, « COROT JEAN-BAPTISTE CAMILLE – (1796-1875)», dans Encyclopædia Universalis. En ligne. <http://www.universalis-edu.com.proxy.bibliotheques.uqam.ca/encyclopedie/camille-corot/>. Consulté le 30 mai 2020.)), en plus de constater que l’originalité véritable de son travail provient de l’influence de l’école de Barbizon.
Le tableau dépeint une action biblique provenant de l’Ancien Testament, soit le salut divin d’Agar et d’Ismaël((Metropolitan Museum of Art, « Hargar in the Wilderness », dans Metropolitan Museum of Art. En ligne. <https://www.metmuseum.org/art/collection/search/435962>. Consulté le 23 mai 2020.)). Dans ce récit, Agar était la servante d’Abraham et de sa femme Sarah. Ceux-ci avaient de la difficulté à concevoir un enfant, et ont donc utilisé Agar pour donner un fils à Abraham : Ismaël. Lorsque Sarah réussi finalement à enfanter Isaac, elle demande à ce qu’Agar et son fils soient chassés dans le désert de Berr-Sheva. Alors qu’Agar pleur la mort prochaine de son jeune fils assoiffé et affamé, Dieu lui répond en envoyant un ange pour la guider et leur sauver la vie. C’est précisément ce dernier moment que Corot choisi d’illustrer dans son tableau((Metropolitan Museum of Art, « Hargar in the Wilderness », dans Metropolitan Museum of Art. En ligne. <https://www.metmuseum.org/art/collection/search/435962>. Consulté le 23 mai 2020.)).
La persévérance de Corot à continuer à intégrer un récit dans ses immenses paysages met de l’avant son attachement à la tradition classique. Les thèmes et motifs bibliques et les postures stylisées des personnages suggèrent également l’influence durable de la peinture de paysage néoclassique dans son travail. La formation académique de Corot lui a inculqué l’appréciation d’un néoclassiciste pour les paysages religieux et mythologiques, ainsi qu’un sens de la fonction narrative moraliste de la peinture((GOETZ, Adrien, « COROT JEAN-BAPTISTE CAMILLE – (1796-1875)», dans Encyclopædia Universalis. En ligne. <http://www.universalis-edu.com.proxy.bibliotheques.uqam.ca/encyclopedie/camille-corot/>. Consulté le 30 mai 2020.)). Cependant, au contraire de la tradition, les figures centrales dans cette œuvre occupent un espace très restreint dans le tableau, laissant plutôt majoritairement la place au paysage que Corot utilise ici pour dramatiser le récit. Par exemple, la lumière dépeinte par les différentes teintes de jaune utilisées pour peindre la terre ainsi que les teintes de mauves que l’on retrouve dans le ciel indiquent qu’il s’agit du coucher du soleil. Ainsi, alors que la vie semble quitter le corps d’Ismaël, la lumière du jour semble faire de même.
Hagar in the Wilderness (fig.1) est en partie un exercice de contraste tonal dramatique, la lumière traversant le paysage aride divisant la toile entière en deux. Tout d’abord, l’espace du haut qui occupe la majorité du tableau et dans lequel l’on retrouve le ciel ainsi qu’un paysage riche en végétation baignant dans la lumière chaude du soleil. Puis, il y a la partie inférieure dans laquelle le paysage et les figures d’Agar et de son fils se trouvent dans l’obscurité. Alors que la mère et le fils évoquent le désespoir et la mort, c’est ici plutôt la beauté du paysage couvert par la chaleur et la lumière de Dieux qui évoque le vrai message du tableau, soit celui de l’espoir et du salut divin. Ce message est renforcé par l’arrivée de son ange qui semble surgir de derrière ce même arbre majestueux qui est symbole de vie et de force dans ce désert. Ainsi, cette idée que la nature doit être illustrée de façon à exprimer une émotion ou exalter des sentiments rejoint directement la notion panthéiste propre au romantisme du sentiment de la nature dans laquelle l’artiste transcrit les émotions que celle-ci provoque et les états d’âme qu’elle suggère((POMAREDE, Vincent, loc. cit.p.21)).

Le tableau massif de Corot – présenté au Salon de 1835 et qui lui mérite son premier succès auprès des critiques– est une composition historique réalisée en atelier à partir d’études((Metropolitan Museum of Art, « Hargar in the Wilderness », dans Metropolitan Museum of Art. En ligne. <https://www.metmuseum.org/art/collection/search/435962>. Consulté le 23 mai 2020.)). Bien que le cadre soit imaginaire, les arbres inexplicablement luxuriants qui habitent ce désert rappellent ses croquis réalisés à cette époque dans la forêt de Fontainebleau. Plus précisément, le chêne qui agit comme figure centrale dans la composition fut directement transplanté de l’étude Fontainebleau : Oak Trees at Bas-Bréau(1832-33) (voir fig. 2)((Metropolitan Museum of Art, « Fontainebleau: Oak Trees at Bas-Bréau », dans Metropolitan Museum of Art. En ligne. <https://www.metmuseum.org/art/collection/search/435970>. Consulté le 23 mai 2020.)). Son amour qu’il partage avec les autres membres de l’école de Barbizon pour la nature, et plus précisément la forêt de Fontainebleau, influence donc son imaginaire et lui sert ici d’inspiration dans ses compositions. L’utilisation d’études démontre également un souci du réalisme de la part de l’artiste qui n’idéalise pas ses sujets, contrairement à la tradition classique.
En somme, le tableau de Camille Corot, Hagar in the Wilderness (fig.1), démontre que malgré un grand attachement à ses racines classiques, l’artiste est influencé par l’école de Barbizon qui lui fait briser plusieurs codes propres à la peinture historique. Sans être une école dans le sens traditionnel du mot, la forêt de Fontainebleau est un lieu de recueillement pour les artistes qui sert également d’échappatoire aux querelles des courants artistiques qui habitent Paris. Protégés de l’influence de ces disputes, c’est plutôt l’influence de Fontainebleau qui agit sur ces artistes et qui génère, dans leur pratique, la manifestation d’une synthèse harmonieuse de notions d’esthétiques ou de techniques provenant du réalisme, du romantisme et du réalisme.
BIBLIOGRAPHIE
GOETZ, Adrien, « COROT JEAN-BAPTISTE CAMILLE – (1796-1875)», dans Encyclopædia Universalis. En ligne. <http://www.universalis-edu.com.proxy.bibliotheques.uqam.ca/encyclopedie/camille-corot/>. Consulté le 30 mai 2020.
Metropolitan Museum of Art, « Hargar in the Wilderness », dans Metropolitan Museum of Art. En ligne. <https://www.metmuseum.org/art/collection/search/435962>. Consulté le 23 mai 2020.
Metropolitan Museum of Art, « Fontainebleau: Oak Trees at Bas-Bréau », dans Metropolitan Museum of Art. En ligne. < https://www.metmuseum.org/art/collection/search/435970>. Consulté le 23 mai 2020.
POMAREDE, Vincent, « L’étude de L’école de Barbizon: une nécessaire remise en question de l’histoire de l’art », L’École de Barbizon. Peindre en plein air avant l’impressionnisme, 2002, Lyon, Musée des beaux-arts / RMN, p.12-27.
RUKAJ gallery. « Jean-Baptiste-Camille Corot », dans RUKAJ gallery. En ligne. <https://www.rukajgallery.com/jean-baptiste-camille-corot>. Consulté le 23 mai 2020.
Sotheby’s, « Jean-Baptiste-Camille Corot », dans Sotheby’s. En ligne. <https://www.sothebys.com/en/artists/jean-baptiste-camille-corot>. Consulté le 30 mai 2020
On observe qu’en art il a y plus que le néo-classicisme comme courant artistique, et qu’il y a même une grande variété d’autres courants comme le romantisme, le réalisme, etc. En revanche, comme je peux l’affirmer d’après ma lecture de ce texte, les limites de ses catégories ne sont pas aussi claires et précises qu’on le pense généralement dû aux nombreuses influences entre chaque courant. On peut prendre l’exemple de Corot dans le texte qui s’inspire du néo-classisme et du naturalisme pour façonner son œuvre « Hagar in the wilderness ».
Cependant, j’aimerais rectifier une affirmation qui revient à plusieurs reprises dans le texte et qui d’après mes connaissances, m’apparaît erronée. Contrairement à ce que prétend le texte : « (…) l’influence de l’école de Barbizon sur le travail de Corot (…) », Corot n’a pas été influencé par l’école de Barbizon mais au contraire c’est lui qui est le précurseur et l’inspirateur du mouvement de l’école de Barbizon. Je pense aussi qu’il aurait été avantageux de préciser que cette œuvre « Hagar in the wilderness » fait partie du genre du paysage d’histoire que Corot a su ressusciter et où il mélange narration et paysage dans une même œuvre.
Mais somme toute cela demeure un bon travail, bravo!
Il est vrai de dire que Corot est empreint de valeur académique, due à sa formation classique et «d’originalité», grasse à son influence de l’école de Barbizon. Par contre, il serait faux de dire que celui-si sera classique tout au long de sa carrière.
Comme évoqué plus loin dans le texte de Steve, la toile de Corot, intitulé Hagar in the Wilderness (1835) a été peint à l’aide de valeurs empruntées à l’académie et de techniques du cercle de Barbizon. Toutefois, il est difficile d’affirmer que cet artiste a été classique tout au long de sa carrière puisqu’à plusieurs reprises, il va démontrer ce détachement de ce style et des techniques académiques.
Vers la fin de sa carrière, Corot va réaliser des oeuvres qui s’éloignent grandement des conventions du classicisme, comme son oeuvre Hymne au soleil. Celle-ci démontre une grande sensation reliée à la nature, ainsi qu’une présence du touché de l’artiste. Elle fait preuve d’une grande tendresse et d’une vulnérabilité face à la nature qui est mise en valeur dans cette esquisse. De plus, le travail effectué de mémoire témoigne d’une distanciation du sujet pour en ressortir les émotions, ce qui s’éloigne davantage du travail classique. Le travail de Corot sera marqué par son esprit romantique et impressionniste ce qui éloigne son travail de fin de vie du classicisme.
Charlotte Boisclair (BOIC29589805) et Alyzée Laroche (Lara04559800)
J’ai bien apprécié la lecture de votre texte. Merci de nous avoir offert votre vision portant sur l’oeuvre Hagar in the Wilderness de Jean-Baptiste-Camille Corot.
En effet, l’artiste décide d’intégrer un passage de l’Ancien Testament soulignant le salut divin d’Agar et d’Ismaël. Il est intéressant de voir qu’il respecte toujours cette tradition classique, considérant qu’il serait méconnaissant de la peinture ancienne selon ses maîtres. Ainsi, il démontre son habileté à composer des paysages dotés d’un récit mythologique.
Cependant, j’aimerais remettre en question la sincérité avec laquelle la scène biblique est illustrée. Bien que nous sentons un décalage fulgurant dans le traitement des personnages et celui du paysage, il est inévitable de s’attarder sur la disparité esthétique entre ces deux éléments pour comprendre l’intention derrière cette composition. En arrière-plan, nous avons ce paysage d’été serein à ses dernières heures de la journée. En premier plan, nous sommes interpellés par cette scène émouvante et romanesque. Cette discordance me pousse à me demander s’il ne s’agirait pas d’un ajout pour satisfaire une commande d’un ami ou d’un marchand.
Enfin, qu’il ait peint cette composition avec un réel désir de rejoindre la peinture historique ou bien qu’il s’agisse d’un geste opportuniste, Baptiste-Camille Corot garde son titre de précurseur de l’impressionnisme.